Mai Trung Thứ (1906-1980), le maître de la peinture sur soie et de la nostalgie vietnamienne
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- 26 mars
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Mai Trung Thứ est l’un des artistes vietnamiens les plus marquants du XXe siècle. Son œuvre, principalement réalisée sur soie, est empreinte de douceur, de raffinement et d’un profond attachement à la culture vietnamienne. À travers des portraits féminins délicats, des scènes de la vie quotidienne et des compositions empreintes de mélancolie, il a su capter l’âme d’un Vietnam traditionnel en pleine transformation.
Bien que son art soit profondément enraciné dans l’esthétique asiatique, il a également été influencé par son séjour en France, où il a passé la plus grande partie de sa vie. Ce mélange subtil entre Orient et Occident fait de Mai Trung Thứ un peintre unique, célébré à la fois au Vietnam et sur la scène internationale.

Jeunesse et formation à l’École des Beaux-Arts de l’Indochine
Mai Trung Thứ est né en 1906 à Kiến An, une province du nord du Vietnam (aujourd’hui rattachée à la ville portuaire de Hải Phòng). Issu d’une famille lettrée, il grandit dans un contexte où l’art et la culture tiennent une place importante. Très tôt, il montre des prédispositions pour le dessin et la peinture, ce qui l’amène à intégrer l’École des Beaux-Arts de l’Indochine (EBAI) à Hanoï en 1925.
Fondée par Victor Tardieu et Nguyễn Nam Sơn, l’EBAI est un tournant majeur dans l’histoire de l’art vietnamien. Pour la première fois, une formation académique structurée permet aux jeunes artistes d’apprendre les techniques occidentales (perspective, anatomie, peinture à l’huile) tout en perfectionnant leur maîtrise des arts traditionnels vietnamiens comme la peinture sur soie et la laque.
Mai Trung Thứ fait partie de la promotion de 1930, aux côtés d’artistes qui deviendront des figures majeures de la peinture vietnamienne moderne, tels que Nguyễn Phan Chánh, Tô Ngọc Vân et Lê Phổ.
Durant ses études, il se passionne pour la peinture sur soie, une technique qu’il contribuera à moderniser et à faire reconnaître à l’échelle internationale.
Un peintre de l’élégance et de la féminité

L’œuvre de Mai Trung Thứ est immédiatement reconnaissable par son style raffiné, poétique et empreint de nostalgie. Ses peintures sont marquées par plusieurs caractéristiques distinctives :
L’omniprésence des figures féminines : Il représente souvent des femmes vietnamiennes en tunique traditionnelle (áo dài), coiffées avec soin, dans des poses gracieuses et méditatives.
Des couleurs douces et apaisantes : Contrairement aux couleurs vives de certaines peintures asiatiques, il privilégie des tons pastel, des nuances délicates de rose, de bleu et de beige, renforçant l’atmosphère onirique de ses œuvres.
Une technique méticuleuse : Il superpose de fines couches de peinture sur la soie, créant une texture diaphane et un effet de transparence unique.
Des thèmes inspirés du Vietnam traditionnel : La musique, la maternité, l’enfance, les jardins, les moments intimes du quotidien.
Œuvres emblématiques :
La joueuse de đàn bầu – Un hommage à la musique vietnamienne à travers le portrait d’une femme jouant de cet instrument monocorde.
La jeune fille au miroir – Une scène intime, qui capte la beauté et la délicatesse des gestes féminins.
Maternité – Une représentation tendre d’une mère et de son enfant, soulignant l’importance de la famille dans la culture vietnamienne.
Son style délicat et poétique est souvent comparé à celui de Nguyễn Phan Chánh, autre maître de la peinture sur soie, mais tandis que ce dernier privilégiait les scènes rurales et paysannes, Mai Trung Thứ s’attarde davantage sur la grâce et l’élégance féminine.
L’Exposition universelle de 1937 et l’exil en France
En 1937, il participe à l’Exposition universelle de Paris, un événement majeur qui présente les arts et cultures du monde entier. Son travail y est remarqué, et comme plusieurs de ses contemporains (Lê Phổ, Vũ Cao Đàm, Lê Văn Đệ), il choisit de s’installer en France.
À partir de ce moment, il entame une nouvelle phase de sa carrière :
Il expose régulièrement dans des galeries parisiennes et européennes.
Son style évolue, intégrant des influences impressionnistes et modernistes.
Il travaille également dans le domaine du cinéma, réalisant plusieurs esquisses et illustrations pour des productions françaises.
Toutefois, bien que vivant en France, son art reste profondément lié à son pays natal. Ses œuvres continuent de représenter des scènes vietnamiennes idéalisées, marquées par une nostalgie du Vietnam qu’il a quitté.

Un héritage intemporel et une reconnaissance tardive au Vietnam
Mai Trung Thứ s’éteint en 1980 en France, laissant derrière lui une œuvre abondante et admirée.
Longtemps, son travail est resté plus connu en Occident qu’au Vietnam, en raison de son exil et de la division politique du pays. Cependant, depuis les années 2000, un véritable regain d’intérêt pour son œuvre s’est manifesté au Vietnam, notamment avec des rétrospectives et des acquisitions muséales.
Ses œuvres sont aujourd’hui conservées dans plusieurs institutions prestigieuses :
Musée des Beaux-Arts de Hanoï (Vietnam)
Musée Guimet (Paris, France)
Collections privées en Europe et en Asie
Reconnaissance sur le marché de l’art
Depuis quelques années, les œuvres de Mai Trung Thứ connaissent une forte valorisation sur le marché de l’art. En avril 2021, sa peinture Portrait de Mademoiselle Phuong a été vendue 3,1 millions de dollars lors d’une vente aux enchères de Sotheby’s, un record pour un artiste vietnamien.
Un pont entre tradition et modernité
Mai Trung Thứ incarne parfaitement la fusion entre héritage vietnamien et influences européennes. Son travail sur la soie, alliant délicatesse, lumière et poésie, a contribué à redéfinir la peinture vietnamienne moderne, tout en préservant un lien indéfectible avec les traditions de son pays natal.
Aujourd’hui, il est célébré comme l’un des plus grands peintres vietnamiens du XXe siècle, une figure incontournable dont les œuvres continuent d’inspirer collectionneurs et amateurs d’art à travers le monde.
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